A la recherche du sens caché du tableau “Arnolfini”

Quand on interprète le sens d’un tableau en général, il y a souvent une grande part de subjectif, surtout si le peintre a laissé peu d’écrits. C’est le cas pour ce tableau qu’on appelle “Les époux Arnolfini”. Chaque expert émet une interprétation et l’étaye avec divers éléments liés au contexte historique, des éléments du tableau lui-même ou des éléments d’autres tableaux du même peintre… In fine, la valeur d’une bonne interprétation réside dans la qualité du scénario proposé. Est-ce que l’interprétation proposée est cohérente compte tenu des éléments objectivable ? Le contexte historique ? Les éléments du tableau ? La vie du peintre ? etc.

On peut se demander quel est l’intérêt de réaliser de tels scénarios quand on sait qu’il s’agira en fin de compte en partie d’une fiction? Ce sera une hypothèse incluant des éléments inévitablement invérifiables. Alors pourquoi finalement, se donne-t-on tant de mal pour donner une interprétation au tableau ?

Pour répondre à cette question, suivons le fil de ce roman d’investigation de Jean-Philippe Postel “L’affaire Arnolfini”. Pour comprendre ce tableau, une des clés réside dans la présence de symboles dans le tableau car Jan Van Eyck est un peintre qui en utilise abondamment. Par exemple, le chien dans ce tableau est le symbole de la fidélité.

Résumé du roman d’investigation de Jean-Philippe Postel

L'affaire Arnolfini - Les secrets du tableau de Van Eyck

L’affaire Arnolfini – Les secrets du tableau de Van Eyck

Contexte historique

Le tableau “Les époux Arnolfini” aurait été achevé en 1434 parce qu’une phrase est calligraphiée en latin sur le tableau :

Johannes de Eyck fuit hic 1434.

Johannes fuit hic 1434

Johannes fuit hic 1434

On peut traduire cette phrase comme : “Jan Van Eyck fut ici en 1434.” Comme l’explique Jean-Philippe Postel dans son livre :

La phrase est doublement ambigüe. Elle ne dit pas que le tableau date de 1434 mais que la scène qu’il représente a eu lieu cette année-là. Et elle se garde bien de nous informer si, de cette scène, Van Eyck fut le témoin ou le protagoniste.

Pour en savoir plus sur le peintre Jan Van Eyck et sur le contexte historique dans lequel le peintre grandit.

Le tableau

C’est un panneau de chêne peint à l’huile mesurant 84,5 centimètres sur 62,5, magnifiquement conservé, à la National Gallery depuis 1843. On y voit un couple se promettant vraisemblablement fidélité parce que c’est le symbole du chien en bas du tableau. L’homme est du côté de la fenêtre et la femme du côté du lit. Et cela correspond à la répartition des tâches d’un couple au 15ème siècle: l’homme exerce un métier et la femme s’occupe du foyer.

Van Eyck - Epoux Arnolfini

Van Eyck – Epoux Arnolfini

 

Identité des personnages

Qui sont les deux personnages qu’on voit sur le tableau? C’est une question qui toujours sujette à controverse. Il y a deux grandes théories concurrentes. En 1516, dans l’inventaire des avoirs de Marguerite, le tableau est décrit comme ceci :

Ung grant tableau qu’on appelle Hernoul-le-Fin avec sa femme dedens une chambre…

C’est le premier inventaire où on parle du tableau. “Hernoul” voulait dire en ce-temps-là “le cocu”. Hernoul-le-Fin serait alors une expression qu’on pourrait traduire comme “Le Cocu magnifique”. C’est un personnage qu’on retrouve dans les farces populaires. On ne parle d’un lien avec la famille Arnolfini qu’à partir de 1857.  Et d’ailleurs, ce lien est certainement discutable comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant.

Théorie 1 : l’hypothèse du marchand italien Arnolfini et sa femme

La première théorie attribue l’identité des personnages aux époux Arnolfini. Les Arnolfini étaient une richissime famille de négociants italiens prospérant dans le commerce de la soie. En 1857, deux historiens d’art jugent que “Hernoul-le-Fin” sonne de la même façon que “Arnolfini”, et donc, il s’agit bien du même patronyme. Mais lequel des Arnolfini pouvait respecter les exigences de date et de lieu dictées par le tableau ? Pour répondre à cette question, on assista à une longue suite d’hypothèses et de désillusions. Finalement, un consensus s’établit à partir des années 1990 autour de Giovanni di Nicolao Arnolfini. Cependant en 1434, son épouse Costanza Trenta était déjà morte et enterrée. Alors s’il s’agit bien de Nicolao Arnolfini, qui serait la femme du tableau ?

Théorie 2 : l’hypothèse d’un autoportrait de Jan Van Eyck et de sa femme

L’hypothèse que le tableau représente un autoportrait de Jan Van Eyck et de sa femme, c’est la théorie préférée de l’auteur du livre.

Comparons les deux femmes ci-dessous, s’agit-il de la même personne ? La première image est un tableau de Van Eyck peignant sa femme Margareta. Et en dessous, c’est la femme du tableau qu’on appelle “Les époux Arnolfini”.

Margareta Van Eyck

1439 – Margareta Van Eyck

Margareta Van Eyck ?

Margareta Van Eyck ?

Ensuite pour l’homme, nous sommes tous d’accord pour dire que les deux tableaux ci-dessous représentent la même personne.

Qui est ce bonhomme ? Arnolfni ou Van Eyck

Qui est ce bonhomme ? Arnolfni ou Van Eyck

Van Eyck ou Arnolfini ?

Van Eyck ou Arnolfini ?

Le premier tableau ci-dessus où on voit un homme avec un turban rouge est attribué à Jan Van Eyck. Cependant, sur l’identité de la personne peinte sur ce tableau, il n’y a pas de concessus parmi les historiens. S’agirait-il d’un autoportrait de Jan Van Eyck ?

Ce qui vient compliquer la donne, c’est qu’il existe un autre tableau appelé “L’homme au turban rouge”. Et beaucoup d’historiens sont d’avis qu’il s’agit là d’un autoportrait de Jan Van Eyck.

Van Eyck - l'homme au turban rouge

Van Eyck – l’homme au turban rouge

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette théorie est renforcée par le fait qu’on retrouve un personnage très ressemblant dans l'”Agneau mystique”, ce retable attribué aux frères Van Eyck et achevé en 1432. C’est le personnage habillé de noir dans l’image en-dessous. Ajoutons qu’à sa gauche, avec le chapeau orange, il s’agirait du frère de Jan, Hubert, qui aurait commencé l’Agneau mystique quelques années avant sa mort en 1426.

 

Autoportrait Van Eyck - l'agneau mystique

Van Eyck – l’agneau mystique

 

Fil conducteur de l’enquête – l’aventure de la Tante Melanchthon

Pour guider l’interprétation du tableau, l’auteur du livre va tomber par hasard sur une recueil de nouvelles de Charles Nodier, publié à Paris en 1822, “Infernalia”. Dans ce recueil, on trouve une histoire écrite par Philipp Melanchthon (1497-1560) : “L’Aventure de la Tante Melanchthon”.

Philipp Melanchthon raconte que sa tante, ayant perdu son mari, lorsqu’elle était enceinte, vit un soir, étant assise auprès de son feu, deux personnes entrer dans sa maison, l’une ayant la forme de son mari décédé, l’autre celle d’un franciscain de grande taille. D’abord, elle en fut effrayée; mais son mari la rassura, et lui dit qu’il avait quelque chose d’important à lui communiquer; ensuite il fit signe au franciscain de passer un moment dans la chambre voisine, en attendant qu’il eût fait connaître ses volontés à sa femme […] et l’engagea à lui donner la main sans crainte. […] il l’assura qu’elle n’en ressentirait aucun mal. Elle mit donc la main dans celle de son mari; et elle la retira, sans douleur à la vérité, mais tellement brûlée, qu’elle demeura noire toute sa vie. Après quoi, le mari rappela le franciscain; et les deux spectres disparurent…

En bref, le fil conducteur du tableau, c’est cela. La femme du tableau est une revenante du purgatoire et si on lui touche la main, on se brûle. Voyons ci-dessous, ce qui étaie cette hypothèse.

Séparation du tableau Arnolfini en deux

Le tableau est divisé en deux : à gauche, le monde des vivants.

Le lustre

A gauche, la bougie brûle, symbole de la vie, alors qu’à droite, toutes les bougies sont éteintes.

Van Eyck - Bougie brûle à droite

Van Eyck – Bougie brûle à gauche

Le miroir

Le miroir du tableau est sans doute l’objet qui aura fait coulé le plus d’encre. Il est situé exactement au centre du tableau et les dix petits médaillons représentent le chemin de croix du Christ. En partant du médaillon à midi : la Crucifixion, la Descente de croix, la Mise au tombeau, le Christ dans les limbes, la Résurrection (à droite), le Christ au jardin des Oliviers, l’Arrestation, le Christ devant Pilate, la Flagellation et la Montée au Calvaire. Les médaillons où le Christ est vivant se situent à gauche et ceux où il est mort sont à droite, la Résurrection est la seule exception puisqu’il est à droite.

Arnolfini - miroir

Arnolfini – miroir

Le lion et le diable

Au dessus de la main de l’épouse se dresse un petit monstre qui a l’air en colère. Mi-homme, mi animal, les pieds fourchus d’un bouc, une bavette autour du cou. Il fait penser au diable ou du moins, à un petit monstre diabolique. Alors qu’en-dessous de la main, on voit un lion et il est considéré comme un animal divin, symbole de la résurrection. Ces deux figures symbolisent que l’âme de la revenante est “tirée à Dieu et à diable“, tiraillée entre le paradis et l’enfer. Le rouge du lit symbolise les flammes du purgatoire.

Arnolfini - lion diable

Arnolfini – lion diable

Les patins, le coffre et les oranges

A gauche, on voit un coffre de bois avec trois oranges (symbole du paradis) posées dessus,

Arnolfini oranges

Arnolfini oranges

une paire de patins maculée de boue, témoin de la vie ancrée dans le réel.

patins

patins

On remarque que ces objets sont liés à la vie de tous les jours, la vie concrète.

 

Conclusion

En fin de compte, l’auteur pense que le tableau représente Jan Van Eyck et sa femme. Si sa femme était toujours vivante à ce moment-là, alors pourquoi l’aurait-il fait revenir du purgatoire? Est-ce que Jan Van Eyck aurait été marié et veuf avant de rencontrer Margareta?

Pour étayer cette histoire, l’auteur détaille encore d’autres symboles et d’autres indices. Mais malgré tout, cela ne lui permettra pas de conclure avec certitude sur le sens du tableau. Donc, on sait que ce n’est pas la fin des enquêtes sur ce tableau.

Sens de la recherche

Alors, pour reposer la question de l’introduction: pourquoi passer autant de temps à chercher le sens caché d’un vieux tableau?

D’abord, parce qu’on a tous besoin de donner du sens à ce qui nous entoure.  C’est même un besoin fondamentalement humain qui nous distingue des animaux. “Le jour où des chimpanzés se regrouperont pour discuter du sens de la vie, alors ils seront devenus des humains.” (j’ignore encore à qui je dois attribuer cette phrase mais elle ne vient pas de moi).

Valeur historique et artistique unique

Par la qualité de sa réalisation, par le choix de la technique utilisée, par le choix du sujet, par la présence de symboles, et l’harmonie générale qui s’en dégage, ce tableau constitue certainement joyau artistique . Et il a la chance d’être magnifiquement conservé. Faire des recherches sur un tableau comme celui-là permet de savourer toute la richesse de ce qu’une telle oeuvre d’art peut offrir, à la fois du point de vue artistique et du point de vue historique.

D‘une oeuvre individuelle, ce tableau fait désormais partie de notre histoire, de la mémoire de la civilisation occidentale du 15ème siècle. Sans doute, on peut même affirmer qu’il fait partie de l’histoire de l’Humanité. C’est une balise dans le temps et dans l’espace. Et dès lors, sa valeur dépasse de loin sa seule valeur artistique. L‘ “Agneau mystique” (The Lam Gods”) fait aussi partie de ces oeuvres d’art historiques et c’est dans un même esprit de mémoire collective que le projet kikirpa est né.