Prêt pour le changement radical du XVII ème siècle ?
Avec la naissance de l’imprimerie, les grandes découvertes et le développement de nouvelles routes de commerces, un bouleversement radical est en train de s’opérer en Europe. Désormais, les nouvelles idées réalisées dans un pays peuvent être imprimées et diffusées en Europe. Le savoir n’est plus concentré dans les monastères. Mais il est diffusé de plus en plus dans des universités qui deviennent de plus en plus nombreuses. Au début du XVI ème siècle, il existe déjà une cinquantaine d’université dont une bonne partie est créée au Moyen Age. Au XVII ème siècle, on peut parler de révolution dans la manière de penser.
Pourquoi le XVII ème siècle ?
Il existe 2 types de controverses quant au moment de la naissance de la science moderne. D’un côté, les détracteurs de la théories de la naissance au XVII ème siècle estiment que les racines sont bien plus profondes et que la naissance de la science moderne démarre déjà au Moyen Age en Europe. D’autres estiment que parmi les fondateurs de la science moderne, la manière de penser n’est pas vraiment scientifique. Ainsi certains écrits de Copernic et de Kepler ont les mêmes aspects que Platon. Copernic considère par exemple que les planètes décrivent des cercles parfaits parce le cercle est une forme parfaite. Et Kepler reprend à son compte la théorie de la Musique des sphères, théorie d’origine pythagoricienne et validée par Platon. Galilée, pour sa part, dessinait des horoscopes et Newton était “scientifique le jour et alchimiste la nuit”.
Dans ces deux critiques, il y a une part de vérité. Alors pourquoi le le XVII siècle ?
Du point de vue d’un scientifique moderne (Steven Weinberg – De wereld verklaard), le XVII ème siècle marque clairement une rupture dans la manière de penser. Avant le XVII siècle, le savoir est truffé de savoir religieux, de philosophie et sa relation aux mathématiques n’est pas établie.
Après le XVII ème siècle, on reconnaît une manière de travailler familière pour un scientifique :
- la recherche de lois formulées dans le langage mathématique
- ces lois impersonnelles peuvent prévoir avec précision toutes sortes de phénomènes
- elles sont vérifiables par des observations et par des expériences.
Astrophysique
La science moderne ne s’est pas faite du jour au lendemain. Mais quelques grandes figures ont amené, chacun à leur manière, une contribution à la manière de concevoir le savoir. Et l’arrivée de la science moderne a radicalement bouleversé notre société. Illustrons cette rupture par l’histoire de l’astrophysique.
Au XVIème siècle, c’est toujours le modèle que Ptolémée décrit dans l’Almageste qui constitue la théorie la plus répandue. Le mouvement des astres et des planètes sur le modèle géocentrique (la Terre au centre de l’Univers). Bien entendu, ce modèle est erroné : en réalité, c’est la Terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse. Dès lors, pour que le modèle soit cohérent avec les observations du mouvement des étoiles et des planètes, le modèle de l’Almageste introduit beaucoup de complications telles que les épicycles ou les excentriques.
Copernic (1473 – 1543), le précurseur du XVI ème siècle
Né en 1473 en Pologne, Copernic est devenu Chanoine à Frombork. Il n’y exerce aucune grande responsabilité et il peut dès lors s’adonner à sa plus grande passion: l’astronomie depuis qu’il a acquis un exemplaire des Tables alphonsines. C’est au XVI ème siècle qu’il amène sa contribution, c’est un précurseur. En 1514, il achève le Commentariolus, son premier texte de recherche astronomique.
Commentariolus 1514
Simon Singh, le roman du big bang synthétise avec brio la contribution de Copernic :
De manière surprenante, toutes les recherches astronomiques de Copernic sont contenues dans un livre et demi. […] Le demi-livre fait référence à son premier ouvrage, le Commentariolus. Celui-ci ne fut jamais officiellement publié mais fut diffusé dans des cercles restreints vers 1514. En seulement 20 pages, Copernic ébranla le cosmos avec la conception la plus radicale en matière d’astronomie depuis mille ans. Il affirme que :
- Les corps célestes n’ont pas de centre en commun
- Le centre de la Terre n’est pas le centre de l’univers,
- Le centre de l’univers est situé près du Soleil
- La distance entre la Terre et le Soleil est dérisoire comparée à celle qui sépare la Terre des étoiles.
- Le mouvement quotidien apparent des étoiles est le résultat de la rotation de la Terre autour de son axe.
- La séquence annuelle apparente des mouvements de Soleil est le résultat de la révolution de la Terre autour de ce dernier. Toutes les planètes tournent autour du Soleil.
- Le mouvement rétrograde apparent de certaines planètes est simplement le résultat de notre position d’observateur sur une Terre en mouvement.
L’audace et l’exactitude des axiomes de Copernic sont confondantes à tous égards.
La Terre tourne bel et bien sur elle-même. De plus, La Terre et les autres planètes tournent effectivement au tour du Soleil, et l’impossibilité de détecter le moindre parallaxe stellaire est due à l’extrême éloignement des étoiles.
Copernic n’est pas le premier à émettre la théorie que c’est le Soleil qui est au centre. En effet, avant lui, Aristarque de Samos (310 av J-C – 230 av J-C) aurait déjà émis cette idée. Mais le plus important est que Copernic remette en question le modèle dominant. Cette “mutinerie astronomique” (Simon Singh) est comme un premier assaut contre les immuables vérités des “Textes anciens”. Pour permettre la création de nouveaux modèle et d’une nouvelle manière de penser, cette remise en question est indispensable.
De revolutionibus orbium coelestium 1543
Ensuite, Copernic s’installe à Frombork, en Pologne, où il devient chanoine grâce à l’entremise de son oncle évêque. Ayant étudié le droit et la médecine en Italie, il n’exerce pas de lourdes responsabilités. Et il est libre de s’adonner à sa grande passion, l’astronomie. Il réalise ainsi un petit observatoire et entreprend de donner corps à ses thèses en ajoutant les explications mathématiques. (Simon Singh)
Pendant le reste de sa vie, il compléta son ouvrage pour en faire un manuscrit de deux cent pages. Il hésita longtemps à le publier de peur de la réaction de la société religieuse et civile. De fait, ses craintes sont fondées. Par exemple, Luther voyait en Copernic “un fou qui contredit les Saintes Écritures”.
Finalement, en 1543 parait “De revolutionibus orbium coelestium” (“Des révolutions des sphères terrestres”). Plusieurs centaines d’exemplaires sont envoyées à Copernic qui est proche de la mort mais qui aura quand même l’occasion de voir la publication de l’oeuvre de sa vie juste avant de mourir.
Cependant, le livre a peu d’impact. Durant les premières décennies qui suivirent sa parution, “De revolutionibus” tombe pratiquement dans l’oubli, notamment à cause du style obscur de son auteur.
Erreurs de Copernic
Son nouveau modèle, décrit dans “De revolutionibus” ne permettait pas d’expliquer précisément le mouvement des planètes. Effectivement, des différences subsistaient entre ce que son modèle prévoyait et les observations réalisées. Une des explications de ces erreurs était que Copernic s’accrochait à l’idée que l’Univers a la forme d’une sphère et au mouvement circulaire des étoiles “parce que la sphère est la forme la plus parfaite…”. Hors, cette forme de pensée dogmatique fait encore penser à la manière de penser du philosophe grec Platon.
Une erreur en amène une autre:
Copernic considère que le mouvement circulaire uniforme est un principe fondamental de l’astronomie. Pour concilier ce principe avec la réalité, Copernic, qui a rejeté l’équant de Ptolémée, est obligé d’ajouter à son système une multitude de petits épicycles et d’excentriques dont l’effet est de moduler la vitesse de chaque planète sur son parcours. Wiki
C’est une erreur de Copernic. Plutôt que de préserver la simplicité de son modèle, quitte à ce que certains nombres ne collent pas avec exactitude aux formules, Copernic décide de rafistoler sont modèle avec tout un tas d’arrangement complexes et erronés pour qu’il “colle” avec les observations.
L’influence de son oeuvre
Au début, l’influence de son oeuvre fut minime.
Malgré son contenu révolutionnaire, le Commentariolus ne rencontra aucun écho parmi les intellectuels européens.
Néanmoins, c’était un premier pas d’une révolution dans l’acquisition et le partage du savoir, et surtout dans la remise en question des modèles décrits par les Grecs.
Un pas que d’autres suivront.
Tycho Brahé (1546 – 1601)
L’astronome Tycho Brahé est souvent décrit comme étant haut en couleur, exubérant, voire arrogant.
Simon Singh : “Né dans une famille de la noblesse danoise en 1546, Tycho Brahé devint célèbre pour deux raisons. Premièrement, […] parce que dans un duel avec son cousin, son nez fut tranché […] et Tycho colla à la place de son appendice arraché un faux nez en métal fabriqué avec un alliage d’or, d’argent et d’airain si astucieusement fabriqué qu’il se fondait avec la couleur de sa peau.
La deuxième raison de la célébrité de Tycho est qu’il porta les techniques d’observation astronomique à un degré de précision jamais atteint jusque là.
Uraniborg au Danemark
Grâce au soutient de Frédéric II, le roi du Danemark, il fit fabriquer l’observatoire Uraniborg. Il s’agit d’une somptueuse citadelle qui engloutissait à elle seule, plus de 5 % du produit national brut du Danemark. C’est un record historique pour une centre de recherches.
Uraniborg abritait une bibliothèque, un moulin pour fabriquer du papier, une imprimerie, un laboratoire d’alchimiste, un four et une prison. Les tourelles d’observation contenaient des instruments géants. Chaque instrument était disponible en quatre exemplaires, afin de permettre des mesures simultanées. Les observations ainsi obtenues étaient précises au 1/30 près, soit cinq fois mieux que les meilleures mesures antérieures. (Simon Singh, le roman du Big Bang)
Tycho organisait également des fêtes somptueuses et bien arrosées. Des automates et un nain animaient la soirée, ainsi qu’un élan comme animal de compagnie qui pouvait se déplacer librement dans Uraniborg.
Un exemplaire de “De revolutionibus”, l’ouvrage de Copernic, était bel et bien présent à Uraniborg. Et Tycho n’y était pas hostile. Mais Tycho proposa encore un autre modèle dans son ouvrage sorti en 1588 “De mundi aetherei recentioribus phaenomenis” : les planètes tournent autour du soleil, qui lui, tourne atour de la Terre.
Rencontre avec Kepler à Prague
A la mort de Frédéric II, Tycho perdit son soutien politique. De fait, le nouveau roi Christian IV ne voulut pas continuer à financer le centre de recherches Uraniborg.
Tycho fit ses bagages et partit avec des charrettes entières de matériel astronomiques […] pour Prague où l’empereur Rodolphe II le nomma mathématicien impérial et l’autorisa à fonder un nouvel observatoire au château de Benatky.
Le choc des personnalités
C’est à Prague qu’il va rencontrer Kepler, un mathématicien de génie … et son contraire en bien des points. Alors que Tycho est un personnage arrogant, issu de la noblesse Danoise, Kepler est né dans une famille pauvre, luttant pour sa survie dans un climat de guerre et de conflits religieux. En plus, son père est criminel et sa mère, accusée de sorcellerie doit fuir son village. Kepler est hypocondriaque, avec une personnalité angoissée et ayant une faible estime de soi.
Dans un horoscope auto-dévalorisant qu’il écrit à la troisième personne, il se décrit lui-même comme un petit chien
“Il aime ronger des os et des croûtes de pain sec, et est si gourmand qu’il attrape tout ce qu’il aperçoit ; cependant, tel un chien, il boit peu et se satisfait de la nourriture la plus ordinaire […], Il cherche continuellement à s’attirer la bienveillance des autres, dépend des autres pour tout, obéit à leurs moindres désirs […] Tel un chien, il a horreur des bains, des teintures et des lotions…”
Quand on pense que Tycho organisait des orgies à Uraniborg, où l’alcool coulait à flots et où on donnait des spectacles extravagants, on ne peut pas s’empêcher d’apprécier le contraste entre les deux personnages.
Ce n’était cependant pas une relation d’égal à égal : Tycho ne partageait pas ses observations avec Kepler. En réalité, il rêvait de “publier un chef d’oeuvre en solitaire” (Simon Singh, le roman du big bang).
Décès de Tycho Brahé en 1601
Quelques mois après l’arrivée de Kepler, Tycho assistait à un dîner offert par le baron de Rosenberg et s’enivrait à son habitude, refusant néanmoins d’enfreindre l’étiquette en se levant de table avant le baron. Kepler rapporte la scène en ces termes :
“A mesure qu’il buvait, il sentait la tension croître dans sa vessie, mais il fit passer la politesse avant sa santé. Quand il rentra chez lui, il parvint à peine à uriner.”
La nuit suivante, il fut pris de fièvre et dix jours plus tard, il n’était plus de ce monde.(Simon Singh, le roman du Big Bang)
Ayant toujours joué cavalier seul quant à ses observations, on pourrait dire avec un peu d’ironie, qu’il laisse la place à Kepler au bon moment. Kepler saura interpréter avec brio les observations recueillies par Tycho Brahé.
Johannes Kepler (1571 – 1630)
Johannes Kepler est un maillon essentiel de l’histoire de la science moderne. Dès 1396, Kepler publie Mysterium cosmographicum, le premier livre qui prend la défense du “De revolutionibus” de Copernic.
Le premier janvier 1600, il se met en route pour Prague. Cela correspond au premier jour du XVII ème siècle !
Ayant finalement réussi à avoir accès aux observations de Tycho, il se fixa comme but de prouver la véracité du modèle héliocentrique. La plus grande imprécision concernait les observations de la planète Mars qui ne collaient pas avec le modèle héliocentrique. Il avait bon espoir de résoudre le problème en huit jours mais la tâche lui demanda huit années. […] En fin de compte, les conclusions de Kepler furent le l’aboutissement de calculs tortueux et ardus qui remplirent pas moins de neuf cent pages manuscrites.
Finalement, il y arrive, en se débarrassant de trois postulats posés par Copernic:
- Les planètes décrivent des cercles parfaits
- Les planètes se meuvent à des vitesses constantes
- Le soleil se trouve au centre de ces orbites
De plus en plus, le modèle astronomique proposé commence à correspondre à la réalité. Kepler montre que :
- Les planètes décrivent des ellipses et non des cercles parfaits
- La vitesse des planètes varie constamment
- Le Soleil ne se trouve pas tout à fait au centre de ces orbites
Kepler montre également que l’aire balayée par une planète autour du Soleil recouvre la même surface.
Le modèle décrit par Kepler est simple, astucieux et précis s’agissant de la trajectoire de planètes.
Cependant, personne ne crut qu’il décrivait la réalité et il eut droit à un accueil médiocre. Par exemple, l’homme d’Eglise et astronome David Fabricius lui envoya une lettre :
“Avec votre lettre, vous abolissez la circularité et l’uniformité des mouvements, ce qui, plus j’y pense, plus me parait absurde… Si seulement vous pouviez conserver l’orbite circulaire parfaite, et justifier votre orbite elliptique par un autre petit épicycle, ce serait beaucoup mieux.” (Simon Singh)
Mais on ne construit pas une ellipse avec des cercles et des épicycles.
Merci à James Coleman Alessandra Caretto Shifaaz shamoon Edgar Chaparro Meriç Dağlı